Discours contre les hérétiques ; par
l'exemple de la perle et par d'autres preuves évidentes, il y est démontré que
nous devons croire que la sainte Enfantrice de Dieu, en dehors de toute loi de
la nature, a conçu Dieu notre Seigneur et l'a mis au monde pour le salut du
monde.
Seigneur, j'aime et je
couvre de mes baisers ton Evangile, parce qu'il nourrit ma faim. J'aspire après
ta parole, parce qu'elle étanche ma soif comme une source vive. Je convie à ta
table tous ceux qu'il me plaît d'y appeler, et son abondance reste toujours
inépuisable. Beaucoup d'autres prennent part avec moi à la nourriture céleste,
et pourtant je me trouve dans la solitude. Je bois avec une foule de convives,
et c'est à moi seul que Tu verses ta grâce. "Que Te donnerai-je donc en retour"
(Ps 115, 112), si ce n'est mon âme tout entière soumise à tes saints
Commandements ? Je le veux, Seigneur, mais je ne le puis. Adam est mon père et
il faut que je paie à la nature la dette qu'elle réclame. Je tends vers Toi de
toute ma force, et je me fais obstacle à moi-même ; car il y a en moi un mystère
que je ne puis expliquer. Mon regard ne laisse échapper chez les autres aucune
des faiblesses humaines, et je suis moi-même dans les liens du péché. Je vois
mes égarements, je les connais, et en accusant les autres, c'est moi-même que
j'accuse. Mais quoi! garderai-je donc le silence afin d'éviter ma condamnation ?
Et comment alors prouver mon zèle et mon amour pour Toi ? Je parlerai donc et ne
cesserai de parler. Que m'importe ma propre condamnation, pourvu que
j'accomplisse mon saint ministère ? Que m'importe la mort elle-même, pourvu que
ton Nom soit glorifié ? Je sais que je pourrais échapper à la condamnation en
faisant grâce aux vices des pécheurs ; mais je ne cesserai de les poursuivre,
afin de faire éclater ton innocence et l'inaltérable pureté de ta Vie. Que les
Grecs connaissent la force et la puissance de mon amour ; que les Juifs
comprennent toute l'ardeur de mon dévouement, puisque je me résigne pour Toi à
une mort obscure et privée de l'appareil des flammes, du glaive et des autres
tortures. Peut-être croiraient-ils à mon dévouement et à mon amour, si, pour les
convaincre, je souffrais à cause de Toi une mort réelle, éclatante et environnée
de témoins. Mais peut-être, dis-je, que je la souffrirais, et ne le ferais-je
pas ; je crains bien que, privé du secours de ta grâce, je ne succombe à la
faiblesse de ma nature.
Mais,
Seigneur, donne-moi l'assurance que Tu soutiendras mes efforts, et je forcerai
les Grecs à croire que je puis supporter le martyre. Faites-moi connaître que Tu
prendras en pitié mes souffrances, et je vais m'armer pour la lutte. Oui, je
suis prêt à me dépouiller de mes vêtements pour suivre les licteurs et les
satellites des Grecs. Déjà la trompette appelle aux combats les Grecs impatients
; elle leur crie d'abandonner leurs foyers pour s'élancer contre les Perses ;
déjà l'appareil des supplices cesse de menacer l'Occident et se dresse désormais
contre nous. Je suis pénétré de crainte, parce que Tu hais les pécheurs ; mais
mon âme est inondée de joie, parce que Tu es mort aussi pour eux. Je suis frappé
de terreur parce que Tu détestes les hommes esclaves des sens et de la chair ;
mais je suis rassuré, parce que Tu connais la faiblesse de notre nature,
Créateur, Tu connais ta créature ; souverain juge, Tu sondes tous les replis du
cœur de celui que Tu vas condamner ; Dieu fait homme, Tu n'ignores point ce que
tu as Toi-même senti. Tu m'avais donné une nature sans tache ; mais Adam, mon
père, l'a corrompue et dégradée par mille souillures. A ces souillures il a mêlé
l'illusion de la vanité ; et maintenant je subis, sans y avoir participé, la
peine de sa faute. C'est lui qui a mis dans la nature humaine un levain impur,
et voici que je suis menacé de naufrage au sein d'une mer orageuse. Aie donc
pitié de ma faiblesse, ô Toi qui es mon Créateur, prends en compassion mon
infirmité, ô Dieu qui T'es revêtu de l'humanité pour moi. Ne me repousse pas à
cause de mes vices et de mes penchants dépravés ; mais plutôt expulse-les de mon
cœur, à cause de l'ardeur de ma volonté. Que mes souillures ne T'inspirent point
de haine contre moi ; mais considère le zèle de mes œuvres ; et bien que mes
coupables pensées aient pu Te détourner de moi, daigne accorder un regard
bienveillant à mes larmes et à mon aversion pour la volupté. Je connais le but ;
mais aurai-je la force d'y atteindre ? Du moins je fais tout ce qui est en mon
pouvoir, et si Tu daignes m'accorder ce qui me manque, Tu vois le fond de mon
âme, Tu sais que je suis pauvre et dépouillé par le démon. Mon cœur est faible
et chargé des liens de la corruption. Mon esprit est sans force et le péché l'a
entraîné à l'erreur. J'ai laissé tes dons se perdre, et voilà pourquoi je ne
possède point la parfaite sagesse ; j'ai perdu tes traces, et voilà pourquoi
j'ignore où je vais. Je ne possède donc rien ; ou si je possède quelque chose,
c'est Toi qui me l'as donné en Te faisant homme. Je suis dans le dénuement le
plus complet ; si je deviens riche, c'est un bienfait qui me viendra de Toi et
maintenant et toujours. J'implore seulement l'appui de ta grâce, confessant que
mon salut sera ton ouvrage, si je suis sauvé.
Il est parlé d'un certain riche dans l'écriture ;
mais comme c'était un homme sage et plein de la connaissance de Dieu, il se
donnait à lui-même le nom de pauvre. Il reconnut que sa richesse n'était que
pauvreté en songeant à ta puissance. Et moi, que dirai-je ou que penserai-je de
moi-même ? Vous connaissez aussi cet homme, chrétiens ; car l'Evangile vous a
proposé une parabole à son sujet, parce que tous les travaux des saints ont pour
but le salut de l'homme. C'est ainsi qu'il s'exprime : "Il y avait un homme
riche, et cet homme, ayant connaissance d'un trésor caché dans un champ, vendit
tous ses biens et acheta ce champ" (Mt 13,44). Un autre fit la même chose pour
obtenir une perle d'un grand prix. Il est bon d'apprécier l'apparente diversité
de ses deux paraboles et d'analyser la force cachée dans chacune d'elles ; car,
au fond, le sens de toutes les deux est le même ; et comme celui de la parabole
de la perle ne demande qu'une courte explication, c'est de la perle que nous
parlerons en premier lieu.
La
perle, cet objet d'un si grand prix, nous vient de la mer. Sa valeur est
proportionnée à la difficulté qu'on éprouve à se la procurer. Pourtant elle ne
sert pas à notre nourriture, mais à notre ornement ; elle ne donne pas non plus
le plaisir d'un breuvage agréable, mais un éclat dont on est fier. Une forte
somme d'argent pèse beaucoup ; la perle semble donner de la légèreté à la
pesanteur même. Toute petite qu'elle est, son pouvoir est grand. Elle est facile
à porter, facile à remettre en place. On la dérobe aisément aux regards ; mais
c'est avec peine qu'on la trouve. Il en est de même du royaume des cieux ; il en
est de même aussi du Verbe divin qui renferme, de la manière la plus manifeste
et dans les plus étroites limites, une foule de mystères. Il ne sert pas
d'aliment ; car sa durée n'est pas limitée au temps fini. Ce n'est pas non plus
aux pauvres qu'Il peut servir ; ceux-là seuls qui ont amassé des trésors de
science et de sagesse qui peuvent en tirer profit. Quiconque est pauvre de
vertus ne peut Le posséder ; Il est la propriété exclusive des saints. On ne
peut arriver aux sommités qu'en passant par les degrés intermédiaires ; de même
dans l'Evangile, divers intervalles séparent ceux qui marchent vers Dieu. Es-tu
pauvre ? Le Verbe sera pour toi le pain qui console l'indigence. Es-tu accablé
sous le poids des infirmités ? Il sera pour toi le baume qui rend la force. Pour
ceux qui souffrent d'une maladie de foie, Il est le sénevé et le vin
réparateurs. Pour les uns, Il est le poisson qui les nourrit ; pour les autres,
le pur froment. Pour ceux-ci, la faux tranchante ; pour ceux-là, la hache
vengeresse. Il est le pain d'orge pour les hommes grossiers, l'instrument de
l'art dans les mains du chirurgien ; pour quelques-uns Il est le fouet qui
frappe ; pour d'autres, la verge qui châtie, le fardeau qui les fatigue et qui
les courbe.
Telles sont les
espèces de degrés que présente l'Evangile sous la forme de paraboles. Le
Seigneur connaît les riches qui ont acquis des trésors de vertu et les pauvres
qui sont en proie à l'indigence de cette même vertu ; Il connaît ceux qui sont
faibles et ceux qui marchent d'un pas ferme dans la foi. Il connaît ceux qui
sont pleins d'ardeur et ceux qui sont languissants dans la religion et la piété.
Il en frappe un grand nombre par le glaive, afin de les arracher aux idoles et
d'éloigner du peuple l'impiété. "Il voit dans les lieux les plus secrets" (Mt
6,4). Le feu de ses Regards pénètre partout pour faire éclater au grand jour ce
qui se cachait dans l'ombre et pour consumer ce qui s'élevait orgueilleusement
contre la science de Dieu. Il cautérise les membres que ronge un ulcère mortel
et retranche de la communion de l'église les affections contagieuses. Parmi les
malades, Il est le médecin, parmi les athlètes, Il est celui qui distribue les
couronnes ; entre les rivaux, Il est l'arbitre ; au milieu des méchants, Il est
le vengeur. Les pauvres ont en Lui leur soutien et les veuves leur défenseur.
Pour les superbes, c'est un roi ; pour les humbles, c'est un frère. Les
étrangers Le voient venir au-devant d'eux comme un ami ; les orphelins trouvent
en Lui un père, et ceux qui Le blasphèment par ignorance, un juge indulgent et
facile. Il est tout cela, bien qu'Il soit toujours un, toujours le même. Car Il
peut tout ce qu'Il veut et Il se prête aux besoins de chacun. Voilà pourquoi Il
se révèle sous la forme de tant de paraboles, voilà pourquoi ses vertus sont si
variées ; et pourtant Il est toujours Lui, Il n'a point changé. Semblable à une
lyre munie de cordes nombreuses, les modes divers de son action sont toujours
d'accord avec l'intérêt de tous. J'ai connu un homme qui était à la fois médecin
et artisan, forgeron et architecte, intendant et laboureur, inspecteur et
savant, orfèvre et potier, cuisinier et marchand. Il possédait encore une foule
d'autres talents ; mais bien qu'il se livrât à tant d'occupations diverses, il
ne cessait pas d'être lui-même dans chacune d'elles. Comment donc, à plus forte
raison, Dieu ne conserverait-Il pas son immuable nature, malgré la multiplicité
des modes de son action et la diversité des formes que revêt sa volonté ?
Et qu'on n'aille pas conclure de mes
paroles et de l'exemple qui précède que le Verbe aussi n'a revêtu qu'une forme
fantastique d'humanité. Autre chose est la nature, autre chose est l'art ; autre
chose est la figure ou la forme, et autre chose est la substance. Celui qui est
à la fois artisan et laboureur, potier et inspecteur, intendant et fournisseur,
celui-là est toujours un, toujours le même sous ses formes diverses. Il ne vient
pas au monde avec telle ou telle professions, il naît ; puis, plus tard, l'étude
le rend habile dans les différents arts. Mais la puissance que possède l'homme
de donner la vie à l'homme, ce n'est point par l'étude qu'il l'obtient, c'est la
nature elle-même qui l'en a doué. L'étude et la méditation n'ont donc pas appris
au Fils de Dieu l'art de se montrer aux hommes avec les apparences de l'humanité
; mais Il a revêtu substantiellement l'humanité, afin de constituer une réalité
vivante, et Il fut véritablement homme au milieu des hommes.
C'est Marcion que j'attaque ici ; ce sont les
frivolités mensongères qu'il débite à ses sectaires que je veux détruire. C'est
Manès surtout que je veux combattre, Manès dont la doctrine sur le Dieu fait
homme est encore plus erronée qu'impie. Je prendrai la perle pour base de ma
réfutation. Que les hérétiques nous disent quelle est son origine et quelle est
sa formation. Elle m'offre un trésor d'arguments, et au lieu des saintes
écritures, c'est elle que j'oppose à nos adversaires ; qu'ils nous disent
comment naît la perle ; qu'ils nous prouvent qu'elle n'est qu'une forme sans
substance. Je sais ce qu'ils vont dire ; mais je saurai les confondre à mon
tour. "Celui, disent-ils, qui est né substantiellement sans le secours de
l'union des sexes ne peut être un homme, et si le Christ avait reçu une
naissance semblable à celle d'Adam, il n'y aurait en Lui que la nature humaine,
et puisqu'Il est sorti du sein d'une vierge, sans rien devoir à l'homme, Il n'a
pu revêtir que les apparences de l'humanité." Je ne vous répondrai point, ô
hérétiques, car j'ai quelqu'un qui le fera pour moi. Je garde le silence ; car
voici la perle qui va parler à ma place. Perle brillante, révèle donc le mystère
de ta naissance, fais connaître ta nature et confonds les hérétiques.
Montre-leur ta substance, et détruis leurs vaines et frivoles imaginations. Que
les coquillages racontent comment la perle est née, qu'ils disent comment elle a
été conçue dans leur sein. Que les créatures qui habitent au fond des eaux
instruisent ces superbes, qui s'imaginent pouvoir pénétrer dans les cieux. Que
les êtres privés de raison, que les objets inanimés redressent le jugement de
ces ambitieux qui se vantent de pénétrer et de connaître la nature des choses
célestes, et que ce qui n'est soumis à aucune loi en impose une à ceux qui
prétendent imposer leur loi aux autres ; je ne puis supporter l'audace et
l'insolence des hérétiques, quand ils osent demander compte de ses œuvres à la
puissance divine et porter un regard curieux et téméraire sur la manière dont
s'accomplissent ses divins effets. Ils osent demander compte à Dieu de ses
œuvres, bien qu'ils soient eux-mêmes chargés d'une dette d'iniquités, quand leur
esprit s'efforce de pénétrer le mystère ineffable de sa conception et de sa
naissance. Les accusés prononcent la sentence du juge, dans l'impuissance de
répondre pour eux-mêmes. Si vous comprenez ce qui est incompréhensible, vous lui
ôtez sa qualité d'incompréhensible, et si votre intelligence atteint une chose
divine, ce ne sera plus une chose divine, mais un fait ordinaire et commun. "Si,
comme dit l'Apôtre, c'est la pénétration de votre esprit qui va jusqu'à
l'intuition de ce Dieu inconnu, cette intuition de votre esprit aura détruit la
puissance divine" (Ac 17,23).
Je
reviens à la comparaison de la formation de la perle et de la naissance du
Christ. Je comprends le mode de celle-ci par la similitude qu'elle offre avec
celle-là, je ne prétends pas cependant révéler la nature intime du mystère. La
perle est une pierre qui doit sa naissance à une substance charnelle,
puisqu'elle sort du sein d'un coquillage. Pourquoi donc se refuserait-on de
croire que Dieu s'est revêtu de l'humanité dans le sein d'une vierge ? Ce n'est
point l'union de deux coquillages qui produit la perle, mais le mélange de la
lumière et de l'eau. C'est ainsi que le Christ a été conçu dans les entrailles
de Marie, sans le secours d'une union charnelle, et c'est le saint Esprit qui,
de la substance de la Vierge, a formé le corps dont Dieu s'est revêtu. La perle
ne naît point coquillage et ne revêt pas seulement la forme d'un corps comme si
sa substance était spirituelle ; de même le Christ diffère de la divinité ; Il
n'est pas tout entier dans la nature humaine, ni confondu sans mélange dans la
nature divine, comme s'Il était né avec une forme spirituelle. La perle est
engendrée substantiellement, et n'engendre point d'autre pierre de son espèce.
Le Christ aussi n'est autre que le Fils engendré du Père et né de Marie. La
perle n'a pas seulement la forme, mais encore la substance ; le Fils de Dieu est
né également avec un corps réel, et non avec une forme fantastique. La pierre
précieuse qui nous occupe réunit en elle deux natures, et cette union est une
preuve de celle qui s'est opérée dans le Christ. Il est à la fois le Verbe-Dieu
et l'homme né de Marie, et chacune de ces deux natures n'a point été en Lui
incomplète et partielle ; car Il n'était point le fruit équivoque d'une union
insolite ; mais Il possédait entière et parfaite chacune de ces deux natures,
bien loin de les détruire toutes les deux en les partageant. Ce n'est pas revêtu
de la seule nature divine que Dieu s'est montré à la terre, et ce n'est pas non
plus revêtu de la seule nature humaine que l'homme est monté au ciel ; mais le
Verbe incarné état le résultat complet de deux natures complètes ; Dieu par sa
nature divine et homme par sa nature humaine : tel est le Christ, fils de Marie.
La divinité n'a rien fait perdre à l'humanité, et la nature humaine n'a point
été un fardeau pour la nature divine ; l'union de celle-ci avec le corps ne l'a
point dégradée, elle ne lui a point ôté ses attributs primitifs, pour lui en
donner d'autres qui lui étaient étrangers. Elle a gardé complets les attributs
qui étaient en elle, et en revêtant l'humanité, le Verbe en a également revêtu
tous les caractères. L'union des natures n'a point produit leur confusion ; car
ce n'était point l'union d'un corps avec un autre corps, mais de l'homme avec
Dieu. Le mélange de l'eau et du vin détruit la nature de ces deux liquides ;
mais le mélange de l'or et du vin produit une substance nouvelle. La divinité
renferme l'humanité comme une urne d'or renferme la manne ; le Verbe divin à son
tour est caché dans l'incarnation comme l'urne dans le coffre. Ce qui était
intérieur devient extérieur, et réciproquement. Ainsi se démontre l'unité et la
substance du Christ. Sans doute la manne n'est pas une substance née de l'urne,
elle lui est seulement unie, non comme l'humanité est contenue dans la divinité,
mais comme l'eau est renfermée dans la perle dont l'essence primitive est la
lumière.
Considérez avec attention
ce phénomène de la lumière et de l'eau et admirez les paraboles du Seigneur ;
remarquez le rôle que joue une matière imparfaite dans la formation de la perle,
et croyez que le Christ est né réellement d'une femme. Du sein d'un coquillage
pour lequel vous ne donneriez pas même une obole, sort une pierre brillante dont
mille talents d'or et plus ne sauraient payer la valeur. C'est ainsi que du sein
de Marie est sorti le Dieu tout-puissant. L'huître n'éprouve point de douleur
tandis que s'opère en elle la conception de la perle, elle ne sent que son
approche : le sein tranquille et résigné de Marie a conçu aussi le Christ sans
éprouver d'autre sentiment que celui de l'apparition d'un nouvel être en elle ;
la corruption n'atteint point le coquillage, ni pendant la conception, ni
pendant la naissance de la perle ; car il enfante sans douleur une pierre
brillante et d'une nature parfaite ; la Vierge aussi a conçu sans péché et a
enfanté sans douleur. Et non seulement la perle est conçue dans le sein du
coquillage, mais encore elle s'y accroît avec le temps et peut montrer sa
substance hors de l'enveloppe qui la contenait. Mais comme en sa qualité de
substance, elle a besoin du secours de la chair pour servir à son alimentation,
et d'employer une matière nourrissante pour atteindre le dernier terme de son
accroissement progressif, elle est caché dans le sein du coquillage comme dans
les entrailles d'une mère, et on dirait qu'on l'y a mise à dessein pour qu'elle
pût arriver à son entier développement. Elle s'y accroît donc grâce à la matière
vivifiante qui l'entoure, et elle s'assimile les sucs nourriciers qui lui sont
nécessaires. De même le Fils de Marie est né sans le secours d'un acte charnel,
et la substance vivifiante de la Vierge a développé celle du Christ, sans que
l'homme ait coopéré à son incarnation. Ô mystères sublimes! Ô dogmes divins! La
nature humaine a produit ce qui n'était point en elle ; un enfant est né, qui
n'a point été engendré par l'homme ; une vierge est devenue mère, son chaste
sein a été une source de vie ; ses entrailles innocentes ont nourri le Fils de
Dieu ; une jeune fille a été l'auxiliaire du Verbe divin dans l'œuvre de son
Incarnation. Sa substance féconde a formé le Corps du Sauveur, et c'est après
son accroissement complet que le fruit de ses entrailles est venu à la lumière.
C'est une femme seule et sans le secours de l'homme qui est devenue mère ; car
le fruit de ses entrailles était saint. C'est une vierge qui a enfanté, parce
que le Fils qu'elle a mis au monde était la source de toute pureté et de toute
chasteté. C'est exempte du trouble des sens que Marie a coopéré à l'incarnation
du Fils de Dieu ; car Celui à qui elle a donné le jour était le vainqueur du
péché.
Comment donc le Verbe
n'aurait-Il revêtu que la forme apparente de l'humanité, puisqu'Il en a revêtu
aussi la nature et l'essence, et qu'Il est né au temps marqué pour l'enfantement
? Comment Celui qui présente tous les caractères de la créature naissante a-t-Il
pu sortir du sein de Marie, avec les apparences de l'humanité, sans que Marie
ait éprouvé le travail et la douleur de l'enfantement ? Elle n'a point souffert,
quoique femme ; elle n'a point éprouvé les douleurs de l'enfantement, quoique
vierge. Elle n'était pas non plus étrangère au fruit de ses entrailles, car
c'était sa substance virginale qui le nourrissait, et par là, il y avait
communication et parenté entre elle et Lui ; et elle est devenue mère d'un Fils
dont la nature était étrangère à la sienne, parce que c'est dans son sein que le
Verbe s'est fait chair. Le Christ a pris son accroissement dans les entrailles
de Marie, bien qu'en qualité de Dieu, Il n'eût besoin d'aucun secours ; et Il
eut une femme pour mère, bien qu'Il fût Fils de Dieu. Il a reconnu Marie pour sa
mère, car c'est par elle que la divinité a revêtu l'humanité. Il était Fils de
celle qui avait coopéré à son Incarnation, non seulement parce qu'elle a prouvé
son acquiescement et son désir par l'ardeur de sa foi, mais encore parce que sa
substance virginale avait servi à former le corps du Sauveur.
Si le Verbe avait revêtu seulement la forme
apparente de l'humanité, qu'eût-Il eu besoin du secours de la nature humaine ?
S'Il était venu sous une forme mensongère, qu'eût-Il eu besoin de la femme ? Et
si le sein de Marie n'a été pour Lui que la voie mystérieuse par laquelle Il est
venu dans le monde, pourquoi Lui a-t-il fallu attendre, pour faire son
apparition, l'époque marquée pour l'enfantement ? Si pour naître Il n'avait fait
que descendre des cieux et venir habiter le sein d'une vierge, pourquoi ne
S'est-Il pas montré directement du ciel à la terre ? Pourquoi est-Il resté dans
le sein de Marie comme dans un lieu nécessaire, s'Il pouvait se montrer aux
hommes sans le secours de la nature humaine ? S'Il n'a pas revêtu l'humanité,
pourquoi du haut des cieux ne S'est-Il pas montré et fait connaître aux hommes ?
S'Il avait tout ce qui était nécessaire à sa Venue, pourquoi empruntait-Il le
secours d'une vierge ? Les actes de Dieu ne peuvent être ni vains ni trompeurs ;
la coopération de Marie serait donc vaine, si le Christ n'était venu que sous
les apparences de l'humanité, et Dieu aurait trompé les hommes en leur montrant
couché dans une crèche un enfant nouveau-né. Ces propositions sont
rigoureusement enchaînées, mes raisonnements sont donc vrais. Je sais que le
Christ est la vérité même ; et dans la formation de la perle, je vois le Dieu
qui S'est fait homme.
Mais voici
une autre preuve de la venue réelle et substantielle du Christ ; je veux parler
de son accroissement progressif depuis sa Naissance jusqu'à son âge mûr.
Supposons un moment que le Christ n'est venu que sous les apparences de
l'humanité ; Il portait des vêtements. Montrez-nous donc quel est
l'accroissement d'un vêtement. Et si le Christ n'avait qu'un corps chimérique,
comme Il n'a cessé de le développer depuis son enfance jusqu'à sa maturité,
comment se fait-il que ce développement prouve son Incarnation et que son
Incarnation prouve à son tour ce développement ? En effet, son Accroissement ne
s'est pas fait tout d'un coup, et sa Naissance n'a pas devancé non plus l'époque
marquée pour l'enfantement. La forme n'est pas la communication d'une nature
substantielle, mais, comme les vêtements, une oeuvre de l'art. A quoi donc
aurait servi la nature au Christ si l'art était à ses ordres ? Qu'était-il
besoin qu'Il fût conçu dans le sein d'une femme, puisque la matière ne procède
pas de l'homme vivant, mais a sa source dans le sein de la terre ? Une vierge a
coopéré à l'Incarnation de la divinité, et en retour la divinité a rendu sa
nature incorruptible. Si un acte quelconque eût pu accomplir le mystère, cet
acte eût pu appartenir aussi bien à l'homme. Et si la forme eût suffi à
l'accomplissement de ce mystère, l'art de l'homme aurait donc été l'auxiliaire
de la divinité. Le sein d'une femme s'est ouvert à la divinité, et sa prompte
obéissance a mérité d'enfanter sans douleur. Elle a prêté à l'accomplissement du
mystère une nature sujette à la douleur et à la souffrance, elle lui a été
rendue exempte de souffrance et de douleur. Elle a fait un présent plein
d'imperfections et de misère, et il lui a été remis plus parfait et plus riche.
Les entrailles qui reçurent Dieu étaient soumises au travail et à la douleur, et
elles furent délivrées de toute infirmité humaine. Celui qui Se servait d'elle
pour S'incarner était un grand médecin, et voilà pourquoi Il l'a rendue saine et
incorruptible. Ce n'était pas un home qui se servait du secours de la femme pour
obtenir la naissance d'un fils, c'était Dieu Lui-même, aussi Il a donné à la
nature mortelle de Marie des dons qu'elle ne possédait pas, afin de montrer
qu'Il ne venait pas pour corrompre la nature, mais pour la conserver pure et
sans tache. C'était une perle qui naissait, et voilà pourquoi Il est sorti
doucement du sein maternel ; voilà pourquoi Il a été enfanté sans travail et
sans douleur. Son Corps n'était point rude au toucher, comme s'il eût été d'une
substance terrestre ; il n'était point mou et sans consistance, comme si la
substance eût été liquide, ni composé d'éléments nombreux et divers, comme si la
substance eût été matérielle ; mais l'enfant renfermait un Dieu parfait caché
sous une nature simple et nue, et voilà pourquoi, grâce à la puissance de Celui
qui résidait en elle, la Vierge a enfanté doucement comme le coquillage qui
laissa tomber la perle. Elle n'a point souffert comme la femme, et ses chastes
flancs, comme les lèvres du coquillage qui se referment, sont revenus aussitôt à
leur état virginal. Elle n'a point perdu le signe de sa virginité tandis que
s'opérait en elle la Conception du Christ, et, une fois qu'Il a été engendré,
ses flancs n'ont pas eu besoin de s'ouvrir pour Le mettre au jour ; ils n'ont
point éprouvé de déchirement tandis qu'elle enfantait.
Je suis obligé de m'attarder longtemps sur ce sujet
afin que, rassemblant toutes les raisons qui peuvent convaincre les hérétiques,
je leur prouve que le Christ est né revêtu de la nature humaine et non de la
forme apparente de l'humanité. Nous naissons comme nous sommes conçus ; notre
mère est atteinte de corruption pendant qu'elle conçoit ; elle souffre et gémit
pendant qu'elle enfante. Elle perd le signe de la virginité pour concevoir, et
c'est pourquoi, au moment où elle enfante, non seulement ses flancs sont
ouverts, mais encore, par la suite de la perte qu'ils éprouvent, ils se
distendent, ils retombent, la douleur les déchire, afin de rappeler à la femme
sa corruption primitive. Car, une fois que le germe déposé dans son sein s'est
développé et parvient à sa maturité, les douleurs de l'enfantement se font
sentir. Il n'en est pas ainsi du Christ ; Il est né sans douleur, parce qu'Il a
été conçu sans corruption, recevant un corps dans le sein d'une vierge, non par
un acte charnel, mais par l'opération du saint Esprit. C'est aussi le saint
Esprit qui a ouvert doucement les flancs de Marie, quand le Sauveur est sorti de
son sein, pour que Celui qui était l'Auteur de la nature parût au milieu des
hommes revêtu de la nature humaine. Le Christ donnait Lui-même à la Vierge la
vertu nécessaire à son Accroissement. C'était le saint Esprit qui aidait dans
son enfantement cette jeune mère ignorante de la couche conjugale. C'est
pourquoi le fruit des entrailles de Marie ne lui a point fait perdre le signe de
sa virginité, et la Vierge n'a pas éprouvé les douleurs de l'enfantement ; ses
flancs se sont ouverts, il est vrai, pour laisser un passage au Dieu qu'ils
renfermaient, mais ils sont revenus aussitôt à leur état virginal, de même que
les lèvres du coquillage s'ouvrent pour laisser tomber la perle et se réunissent
de nouveau et se referment étroitement.
Plus d'une personne a reçu en meilleur état ce dont
il avait abandonné l'usage à d'autres, parce que ceux qui l'avaient accepté pour
s'en servir, étant d'habiles ouvriers, avaient fait disparaître les
imperfections de l'objet donné, et l'avaient rendu sans défaut. A bien plus
forte raison, loin de gâter ce qu'Il avait emprunté, Dieu a dû le rendre
beaucoup plus parfait qu'Il ne l'avait reçu. Ainsi Il a emprunté une nature
corruptible, et Il l'a rendue sans tache par sa naissance. Les techniciens
savent contenir l'eau dans les vases, au moyen de courants contraires ; ils
laissent un passage à son écoulement d'un côté, et ils la font rentrer à nouveau
dans les vases par des mouvements spontanés. L'Art de Dieu ne pouvait-il donc
l'emporter sur celui des hommes au point d'ouvrir et de refermer les flancs de
Marie, sans qu'ils fussent en rien endommagés par la masse des matières qui se
livraient un passage ? Les rois accordent des privilèges aux cités dans
lesquelles ils ont reçu le jour ou la couronne. Pourquoi donc le Fils de Dieu
n'aurait-Il pas accordé la virginité à sa Mère, puisque ce don était en son
pouvoir ? Les propriétaires et les maîtres de quelques cantons étudient la
nature des lieux et des sources qui les entourent ; ils corrigent les eaux, et,
à force d'adresse et de constance, parviennent à améliorer la nature du climat.
Le Christ ne pouvait-Il donc, à plus forte raison, corriger les défauts qui
auraient apporté le trouble dans le sein de Marie ? Devait-Il, comme s'Il eût
été l'un de nous, permettre que sa Mère fût semblable au reste des femmes ? Le
Christ est le seul qui soit né d'une vierge ; il était donc convenable que Marie
restât vierge malgré l'enfantement et devînt mère sans éprouver les douleurs de
la maternité.
Ne vous laissez donc
pas aveugler par votre propre nature, au point de ne pas croire à la nature
divine, et que votre chair, qui est sujette au trouble des passions, ne corrompe
pas votre jugement au point de vous faire accuser la nature humaine. Le Christ
n'est pas venu pour servir les passions, mais pour exterminer le péché. Il n'a
pas revêtu les apparences de l'humanité pour se faire un jeu de la nature
humaine ; Il n'a pas rejeté la substance pour honorer la forme. Si la forme,
entre les mains de l'homme, peut arriver à des résultats dignes d'admiration, la
nature, certes, le pouvait bien davantage entre les mains de Dieu. S'Il a voulu
honorer la forme de la nature humaine, la nature humaine est donc quelque chose
de bien noble, puisque la divinité l'a jugée digne d'honneur. S'Il est venu sous
la forme de l'humanité pour corriger la nature humaine, la nature humaine est
donc bien supérieure à la forme, puisqu'elle comporte un perfectionnement plus
grand. Si la forme ne pouvait rien ajouter à l'accomplissement de ses Desseins,
Il a dû exécuter sans elle les décrets de sa volonté. Et s'Il n'a rien fait qui
soit purement formel, c'est bien inutilement qu'Il eût revêtu la forme apparente
de l'humanité.
Etudiez la perle et
abandonnez vos erreurs, car je ne cesserai de poursuivre mes adversaires jusqu'à
ce que je les aie confondus. Remarquez qu'elle n'est pas une forme fantastique,
mais une substance réelle. Cette pierre précieuse est indivisible ; la substance
qu'a revêtue la divinité est également indécomposable. La perle est formée de
l'union de la lumière et de l'eau, deux éléments contraires qui se sont unis
intimement. Comment donc ignorez-vous ce qui est sous vos yeux, et cherchez-vous
avec tant de curiosité ce qui est loin de vos regards ? La lumière procède du
feu, voilà pourquoi elle enflamme en même temps qu'elle illumine. Les
coquillages viennent dans l'eau et croissent par l'eau. Comment se fait-il donc
que l'élément brûlant et lumineux ne consume pas la matière du coquillage ?
Comment se fait-il que l'eau et le feu s'unissent intimement et
substantiellement sans que l'un nuise à l'autre ? Vous ne pouvez le dire, mais
vous êtes obligés de croire ce que vous voyez et ce que vous touchez. Que ce
phénomène naturel, dont vous ne pouvez rendre compte soit pour vous une preuve
que le Fils de Dieu est né sans le secours d'un acte charnel. Il y a aussi en
Lui deux éléments contraires dont les substances s'unissent intimement.
Mais je veux détruire une objection que
vous pourriez me faire. Quelques-uns de vous disent : "Dieu est incréé et la
chair tombe sous les sens ; Dieu est exempt de toute souffrance, la nature
humaine est sujette à la douleur. Comment donc deux natures si opposées
ont-elles pu se réunir en un seul être ?" Consultez la perle, elle vous
expliquera ce mystère. La lumière est le symbole de la divinité et l'eau le
symbole de l'humanité. Ce n'est pas l'eau qui s'est incorporé la lumière, car
elle est pesante de sa nature et ne peut s'élever dans les hautes régions de la
lumière. C'est le rayon lumineux qui, dans son mouvement léger, vient s'unir à
la goutte d'eau, et le coquillage entrouvert les reçoit unis dans son sein. La
chaleur de la substance de l'huître fait germer le nouvel être, et les lèvres du
coquillage, en s'unissant étroitement, empêchent, par leur solidité, l'humeur
interne de s'écouler au dehors. La substance nourricière développe le germe
qu'elle contient, et le temps fait éclore une perle brillante du mélange d'une
goutte d'eau et d'un rayon de lumière. L'Evangile dit de même : "L'Esprit du
Seigneur viendra sur toi" (Lc 1,35). Pourquoi cela ? Afin de lui donner la force
de porter dans ses flancs la divinité. Il ajoute encore : "Et la vertu du
Très-Haut te couvrira de son Aile" (Ibid.). La lumière viendra s'arrêter sur ta
nature mortelle, "car le fruit de tes entrailles est saint et portera le nom du
Fils de Dieu" (Ibid.). Il ne dit pas : "Celui qui est déjà né naîtra de nouveau"
; il ne dit pas non plus : "Celui qui naîtra de la vertu du Très-Haut ou de
l'Esprit saint", mais "Celui qui naîtra de toi", afin de montrer que la
substance virginale de Marie était nécessaire à l'Incarnation de la divinité, et
que c'est en elle que le Verbe divin s'est revêtu de l'humanité. Car si
l'Evangile n'avait pas dit "Celui qui naîtra de toi", on aurait pu croire que le
Verbe n'a pris que la forme apparente de l'humanité. Cependant, quelques
exemplaires ne portent point ces mots : "de toi", et semblent ainsi donner
raison aux hérétiques. Mais bien que ces exemplaires ne portent point cette
addition, cependant les expressions qui précèdent donnent à la phrase le même
sens, car l'Evangile dit : "Celui qui naîtra", et ces expressions renferment
nécessairement l'idée d'incarnation. D'ailleurs la conception a pour conséquence
nécessaire l'incarnation et elle est incompatible avec la forme ; l'expression
de l'archange montre que si la divinité a résidé dans le sein d'une vierge, cela
a été pour naître revêtu de la nature humaine. Car Il eût pu se montrer plus tôt
à toute la terre, s'Il n'avait pas voulu prendre véritablement le corps de
l'homme, pour vivre au milieu des hommes.
Contemplez la perle, et vous verrez qu'elle
renferme deux natures. Elle produit beaucoup d'effet à cause de son essence
éthérée ; elle est brillante à cause de son organisation matérielle. Vous voyez
sa pureté dans son éclat, et dans l'effet qu'elle produit vous découvrez la
puissance qui réside en elle. Elle est dure par sa nature terrestre, elle est
légère par sa nature céleste ; elle tient de l'eau par son côté grossier, de la
lumière par son côté divin. Tout le monde peut observer que la perle, comme un
miroir pur, reflète l'image de chacun. C'est l'art qui façonne les miroirs ;
aussi y a-t-il quelque chose de trompeur dans l'image qu'ils donnent de l'objet
qu'on leur présente ; mais la perle renferme naturellement cette propriété ;
c'est une faculté innée en elle. Il y a beaucoup d'autres choses qui sont le
résultat identique et nu du mélange de deux éléments divers, mais ce n'est point
comme la perle qu'elles naissent et ce n'est pas de lumière et d'eau qu'elles
sont formées.
N'allez cependant
pas prendre pour exemple toutes sortes de perles ; car toutes ne sont pas bonnes
et ne renferment pas les propriétés dont nous avons parlé : plusieurs, au
contraire, participent beaucoup à la nature terrestre. Parmi les huîtres, les
unes restent au fond des mers, les autres choisissent les lieux humides,
limoneux et pleins de vase, se nourrissent de matières infectes, et produisent
rarement des perles de bonne qualité. Une autre cause encore concourt à
l'existence de la perle ; car si elle ne reste pas dans la coquille le temps
voulu pour sa formation, on l'y trouve à l'état de pierre et comme non à terme.
Aussi plusieurs de celles qui sont au fond des eaux, ne valent rien et ne
doivent qu'à l'art le peu de valeur qu'elles obtiennent. Du reste, ces qualités,
on les trouve rarement hors des coquilles ; il faut aller les y chercher, les en
arracher ; celles-là sont appelées bonnes et parfaites, qui, pendant leur espèce
d'accroissement, pendant que leur substance s'identifie à la nature, ne sont
point ravies à leur enveloppe, mais en sortent d'elles-mêmes ; et voilà
précisément ce qui leur donne un si grand prix. Que si vous voulez savoir
comment certains animaux viennent au milieu des eaux et de l'eau elle-même,
ouvrez le livre de la loi, et vous entendrez Dieu vous dire qu'Il a ordonné aux
ondes de produire entre autres choses les moules et les huîtres. Car ce sont
deux espèces qui se traînent aussi au fond de la mer, et comme la perle est la
dernière dans l'échelle des êtres, de même le Christ est né d'une nature
souillée et corrompue que seule la présence d'un Dieu pouvait purifier.
Comme la foudre sillonne l'espace, Dieu
le Père remplit l'infini ; comme l'éclair brille dans l'ombre, le Christ vient
épurer nos souillures. Voilà pourquoi Il purifia la sainte Vierge et naquit de
manière à prouver que partout sa présence engendre la souveraine pureté. Il la
purifia d'avance par l'Esprit saint, et les entrailles purifiées de Marie
conçurent le divin Jésus. Il la rendit chaste et pure ; aussi resta-t-elle
Vierge en Lui donnant le jour. Coquillages précieux de nos mers, dites et
prouvez à la terre que la Vierge n'a pas eu besoin du concours de l'homme pour
concevoir son Fils. Qu'on ouvre votre enveloppe d'écaille, et l'on n'y verra
point de chair ; mais l'éclat soudain de la lumière pénètre ce corps qu'un
tranchant vient de partager ; ainsi la Vierge reçut au milieu de son être le
Verbe Dieu, et sans secours étranger, sans désir, comme sans passion de sa part,
la divinité s'incorpora à sa nature, et elle comprit que le mystère de
l'Incarnation s'opérait dans son sein ; elle éprouvait la conception, mais
ignorait l'acte qui en est la source ; son corps recelait un nouvel être ; et
cependant nul désir charnel ne l'avait agitée ; car pour lui conserver toute sa
chasteté, ses sens semblaient avoir oublié les appétits grossiers de leur
nature. Lorsque le soleil paraît au firmament, les ténèbres se dissipent, et
l'univers entier brille de l'éclat de sa lumière : que sera-ce s'il concentre
ses rayons sur un seul point ? Si le Christ, éclairant Paul d'un rayon de sa
céleste flamme, l'a ramené à la piété, a fait du loup infidèle une brebis
soumise, du cruel persécuteur un apôtre miséricordieux, si, de récalcitrant et
endurci qu'il était, Il l'a rendu doux et fervent, le Verbe saint, en venant
habiter le corps de Marie, a dû bien autrement encore la purifier de toute tache
et de tout péché. Pour gage de dévouement, Il ne demande à la jeune fille que sa
foi : à ce prix Il lui donne sa grâce ; et si dans sa Justice Il la fortifie
contre la corruption, Marie, par sa foi, Lui soumet sa nature, et la grâce
l'inondant e ses flots, elle devient incorruptible à tout jamais. Dieu se
l'approprie, ainsi que ferait un roi d'un vase précieux appartenant à un de ses
sujets. Aussi, par la grâce, Marie devint, non pas mère, mais vierge, comme la
nourriture des troupeaux deviendrait mets royal, si un roi la choisissait pour
sa table. Non pas que je dise que Marie fut immortelle ; mais n'ayant pas été
séduite par les appétits de la chair, elle fut sanctifiée par la grâce. La
rouille imprimée à sa nature périssable disparut, et son corps libre de passion
se conserva toujours pur.
J'aime
et je couvre de mes baisers la pierre précieuse de l'Evangile, parce qu'elle est
devenue la substance de mon âme ; j'élève aux cieux et je glorifie la perle des
mers parce qu'elle me raconte les mystères du Christ ; si j'ai choisi de
préférence cette comparaison, c'est qu'elle confirme pour moi deux faits
mystérieux. Elle me montre, en effet, le mélange de deux natures, et la force
virtuelle de la divinité. Par elle je comprends la réunion de deux contraires,
le changement d'une nature déjà constituée ; j'y vois le ciel uni à la terre,
deux anneaux ne formant qu'une chaîne. La grâce a fondu les deux principes en un
seul, et je ne trouve point de moyens pour les séparer. Je sais bien en quoi ils
diffèrent l'un de l'autre ; mais la forme sphérique de la perle trompe ma
sagacité et ne me permet pas d'apercevoir le lien qui les rassemble et les unit.
Tous les points à sa surface se rassemblent et se confondent ; car le Christ a
fait disparaître tout point distinctif ; et, comme l'ouvrier qui réunit deux
chaînons égaux, Il en a fait un tout uniforme que nulle puissance ne saurait
partager. La coquille peut s'ouvrir à sa jointure, la perle, par sa forme,
échappe à toute division ; dans l'une, l'intersection est toujours possible ;
dans l'autre, jamais, afin de bien nous faire comprendre que les tables de la
loi sont doubles, mais que l'Evangile n'a que l'unité d'une sphère parfaite. La
loi d'ailleurs ne s'applique qu'au temporel, et l'Evangile au spirituel : c'est
la coquille et la perle réunies par le Christ. Voilà comment, aidé des lumières
de la grâce sur le mystère de l'Incarnation et recherchant la nature de la perle
intellectuelle, j'en ai trouvé la cause, j'en ai saisi les rapports, j'en ai
compris la nature. Qu'il me soit permis de revenir encore une fois sur l'œuvre
du sublime Ouvrier.
Le souverain
Créateur de toutes choses est à mes yeux un laboureur, non pas qu'Il cultive les
terres de ce monde, mais Il entretient l'harmonie des êtres ; non pas qu'Il sème
et moissonne, non pas qu'Il vendange et fasse gémir d'immenses pressoirs ; mais
Il se sert d'abord de la nature humaine pour nous donner son Fils, et de ce Fils
pour rendre à notre âme toute sa liberté. Voulant liquider la créance qu'Il
avait sur la nature entière, Il a revendiqué toutes les productions de la terre
; et par cette rapide transaction, Il est devenu Maître absolu de l'univers, non
seulement comme Créateur, mais encore comme Rédempteur ; non seulement comme
Dieu, mais comme celui qui vend la perle obtenue à la sueur de son front et pour
qui la moindre parcelle est précieuse. Afin de mieux obtenir l'esclave, Il a
donné son Fils. Ô ineffable bonté ! Ô sublime dévouement! Il dépose la perle au
sein de la coquille, et laisse ainsi vendre à vil prix la pierre précieuse.
Comprenez-vous quel est le marchand ? Distinguez-vous bien Celui qui vend tout
ce qu'Il possède pour acheter la perle ? Vous voyez alors comment le riche se
dépouille de toutes ses propriétés pour acquérir un petit coin de terre, afin de
posséder aussi le trésor qu'il renferme. Je dis que ce riche est Dieu le Père,
donnant son Fils en échange des besoins de l'humanité, se dépouillant de ses
riches possessions pour acquérir quelques arpents, objets de toute sa
sollicitude ; et ces quelques arpents, Il les avait donnés en partage à Adam ;
mais celui-ci, frivole dans ses désirs, ne sut point les conserver ; et Dieu
n'acheta pas le champ pour sa valeur absolue, mais bien à cause du trésor qu'il
recelait.
Et maintenant ce champ,
quel est-il ? Le corps de l'homme, et le trésor caché dedans, son âme. N'est-ce
pas en effet pour cette âme "faite à son Image et à sa Ressemblance" (Gn 1,26)
que Dieu vendit tout ce qu'Il avait ? N'est-ce pas pour en acquérir la
possession qu'Il envoya son Fils sur la terre ? Et certes, le démon ne s'en fût
pas départi au profit de la divinité, si elle n'avait pas été cachée sous
l'enveloppe humaine. Dieu savait sa valeur, et Il en craignait l'aliénation ;
mais Il la livrait à l'homme, parce qu'Il connaissait la faiblesse de ce
dernier, et qu'Il était persuadé de pouvoir reprendre l'enveloppe et le trésor
dès qu'Il le voudrait. Il envoya donc son Fils vers le démon, en Lui disant :
Livre-lui toutes les choses de la terre, car tout M'appartient ; l'homme seul, à
cause de son libre arbitre, échappe à mon empire ; la faculté qu'il a de se
prononcer pour ou contre Moi est un vrai trésor qu'il possède. Mais comme ma
gloire est intéressée à conserver ce que J'ai crû Moi-même pour mon usage et mon
service particulier, donne-lui tous les êtres sans raison, mais rends-Moi
l'homme qui est libre. Aussi lui livra-t-Il tous les bestiaux paissant dans les
plaines de Génésareth, se réservant le champ au trésor, et arrachant ainsi
l'homme à l'empire du démon. Les porcs, les ânes, les taureaux, les lions
eux-mêmes ne sont pas pour celui qui les possède un grand sujet de gloire ; mais
il n'en est pas de même de l'homme, car il ne fournit pas un mets succulent et
corruptible, mais bien un trésor digne du ciel. Et c'est le trésor que nous
avons représenté par un champ de terre ; l'Acquéreur de ce champ c'est Dieu le
Père ; le médiateur, c'est le Christ, son Fils. Il s'est présenté comme simple
étranger, Il a transigé comme acquéreur, Il a pris possession comme maître,
parce que le Père et le Fils ne font qu'un seul Dieu. Par la nature de son
Incarnation, Il a manifesté sa Volonté et son Pouvoir ; par le fait de son
acquisition, Il a fait acte de médiateur ; s'élevant ensuite au rôle de maître
absolu, Il a reculé champ de terre et le propriétaire, dans son ignorance, lui a
aussi livré le trésor enfoui.
L'homme est donc devenu la propriété du Seigneur,
et le vendeur ne savait pas lui avoir cédé en même temps un immense bénéfice ;
le Christ, une fois possesseur de l'homme, le devenait aussi de tout ce qui
était soumis à l'homme. Tous les êtres sans raison étaient échus en partage à
Adam, et cependant le démon semblait en revendiquer la possession, puisqu'il
donnait en échange le corps d'Adam lui-même ; mais dès lors qu'il avait cédé
l'homme, tout ce qui appartenait à ce dernier devait être compris dans la
cession et suivre son possesseur naturel. Avec l'homme furent donc vendus tous
les êtres animés ; car celui-ci avait le pouvoir de les offrir à son Dieu, et
voilà pourquoi l'empire du Seigneur s'étendit et sur les Juifs et sur les
nations les plus reculées. Le Christ venait de faire une acquisition précieuse ;
Il la paya de son sang sur la croix ; puis Il ressuscita, vint en prendre
possession, en chassa les premiers maîtres, et y plaça ceux de son choix. Le
champ qu'Il avait acheté, c'était la terre entière, et le trésor, les saints
qu'elle renferme. Il S'attacha d'abord à la surface, Se réservant de profiter
quand Il le voudrait du trésor qui était caché. Il vint au milieu des vivants ;
mais les morts étant aussi de son domaine, Il les tira de la poussière qui les
couvrait, et laissa le trésor pour le moment de sa résurrection. Ensuite, "Il
s'en alla dans un pays éloigné" (Mt 21,33), confiant ce précieux dépôt à des
gardes, et son champ à des régisseurs, afin qu'à sa Voix ils en fissent plus
tard offrande au Roi suprême. Or sa perle chérie reste enfermée dans la coquille
comme dans un vase, et le champ peut être comparé à l'atelier d'un potier ;
c'est dans ce sens que le prophète du Seigneur a dit : "Entre dans le champ du
potier" (Je 18,2). Et de quel potier entendait-il parler, si ce n'est de Dieu,
puisque c'est Dieu qui nous a ressuscités dans ce champ ? Aussi jusqu'à la
consommation des temps le corps de l'homme n'est qu'un champ de limon infect ;
mais au grand jour qui sera le dernier, ce limon deviendra un vase purifié :
pour les saints par la grâce, pour les pécheurs, par le feu de la
géhenne.
Telles sont les
vicissitudes de la perle, qui ne reste pas à tout jamais ensevelie dans la
terre, mais en est extraite par le Marchand : aussi devient-Il Lui-même les
prémices de sa Croix, et, s'Il ressuscite seul, c'est qu'Il a contracté seul. Et
ce n'est pas après sa mort qu'Il a acheté la perle, parce que c'est sur la croix
qu'Il a vaincu le démon, qu'Il l'a dépouillé et S'est emparé de son armure.
Voilà ce qui Lui fait dire : "Je puis déposer mon âme et Je puis la reprendre"
(Jn 10,18). N'avait-Il pas, en effet, un pouvoir absolu sur la mort ? Et en
mourant Lui-même, ne laissait-Il pas la perle précieuse aux mains non pas du
démon, mais de la nature ? Ainsi, pendant qu'elle était encore dans les
entrailles de la terre, le marché en fut conclu, l'échange se fit, et elle
devint le prix de sa médiation. Le vendeur insensé ne se doutait pas que Celui
qu'il regardait comme un simple étranger était un Maître absolu. Le Christ reçut
donc l'objet vendu ; Il reçut le champ ; Il reçut toute la valeur de ce champ :
car la nature, invariable dans sa marche, obéit aux lois éternelles qui la
régissaient. En acquérant le champ, Dieu acquérait tout pouvoir sur les vivants,
et pour le trésor qu'il renfermait, les morts Lui étaient aussi acquis. Le type
de son Incarnation reste constant dans la perle ; le bénéfice Lui en est assuré
par la grâce du saint Esprit, qui fortifie le corps contre le démon ; car
c'était ce Corps divin que Dieu le Père proposait pour objet et pour prix du
combat.
Revenons maintenant sur
notre sujet ; récapitulons ce que nous avons dit, et tâchons de saisir comme il
convient l'ensemble de ces importantes vérités. Nous avons comparé Dieu le Père
à un laboureur, à un ouvrier, à un marchand, à un potier, à un courtier, à un
prêteur, à un rémunérateur jaloux de sa gloire. Il est bien grand, le Nom du
Seigneur, puisque en deux mots il renferme de si nombreuses attributions ! La
perle a été pour nous tout l'Evangile, car en quelques lettres elle contient
l'explication de bien grands mystères ; et ces quelques misérables feuilles de
papier expliquent la doctrine céleste. Les hérétiques affirment que se revêtir
de la chair humaine est indigne du Fils de Dieu. Eh quoi! Dieu a permis qu'une
simple feuille de papier pût expliquer le ciel, et Il n'aurait pas pu permettre
que son Fils assumât la nature humaine ? Non que je veuille établir la parité de
ces deux faits ; mais j'y trouve la preuve de la Bonté de Dieu envers nous, qui
L'a fait Se dépouiller Lui-même et S'unir aux hommes. Mais, dit-on, Dieu n'est
pas venu en personne sur la terre. Non certes, car ce corps terrestre et
périssable ne pouvait convenir à la divinité pour vivre parmi nous. Le Maître de
la nature a pris la nature du maître de la terre pour rendre à Adam son empire,
que la séduction lui avait fait perdre. Et si le Christ a revêtu une forme
périssable pour descendre ici-bas sous cette forme, Il était encore le Fils de
Dieu.
Il est facile de voir
comment sont battus les hérétiques, lorsqu'ils essayent si imprudemment de nier
la substance du Christ. On peut bien les taxer de folie, car ils parlent et ne
savent ce qu'ils disent, ils profèrent des mots au hasard et ne comprennent
point la conséquence de leurs paroles. Malheureux incrédule! Je veux te montrer
Dieu comme un prêteur bienfaisant, qui a préparé une Perle sacrée dans le sein
de la Vierge, comme un cultivateur habile, qui a communiqué à la nature sa
divinité. Je veux te Le montrer comme marchand associant l'homme à ses
transactions, se croyant riche d'un simple denier, laissant de côté tout gain
personnel, pour ne songer qu'à l'homme, et Lui donner à tout jamais le royaume
céleste. La nature humaine, faible et débile, reçut en elle la divinité, et put
alors combattre son ennemi. Le Fils entra dans les vues du Père, et Il souffrit
pour purifier son acquisition, la réhabilitant par la grâce ; Il donnait au
péché l'auxiliaire des passions et des attraits puissants. Puis offrant cette
nature fragile au démon, Il l'excita à tenter l'humanité. D'un autre côté Il
montra à l'homme la grâce divine et la lui promit au Nom de son Père, sans lui
cacher les combats spirituels qu'il aurait à livrer pour la haine qu'il fallait
vouer à tout objet terrestre. Il l'exhorta au sacrifice de propitiation et
s'offrit comme médiateur dans la réconciliation divine ; Il S'engagea à obtenir
le pardon et indiqua la croix comme gage assuré de sa Promesse, disposant ainsi
l'homme à recourir à Dieu et le Fils à se rapprocher de son Père. Combattant
ensuite Lui-même le démon, Il assura la possession à son Père et délivra
l'esclave du joug affreux qui pesait sur lui.
Admire encore avec moi son ouvrage comme laboureur,
car dans l'une et l'autre fonction le Christ Se montre toujours dispensateur de
grâces envers l'homme et ennemi déclaré du péché. Et n'est-Il pas, en effet la
source d'une foule de chefs-d'œuvre ? L'infini de ses attributions ne se
prête-t-il pas à tout ce que l'esprit le plus vaste peut concevoir ? Peut-on
rien imaginer qu'Il ne puisse exécuter ? Il a déposé la divinité dans le sein de
la Vierge ; Il y a enfermé son Fils, afin que, partageant sa nouvelle nature, Il
lui communiquât la sienne par son Incarnation. L'on peut donc dire avec vérité
que pour Dieu le Père, Marie fut un arbre ; pour le Fils une mère ; et pour les
hommes une source incorruptible et éternelle de l'Esprit saint. Les liens de
cette greffe sacrée sont les témoignages des prophètes ; et la division s'est
opérée sur l'étendue de la nature. Le jardinier a une faucille qui lui sert à
élaguer et à redresser les branches, c'est-à-dire à préparer et à conserver la
vertu du saint Esprit ; et l'arbre régénéré ainsi dans son espèce n'est autre
que la sainte femme restée vierge.
Crois donc fermement à nos paroles, ô homme, car
tout s'explique par la foi. Et si tu crois pouvoir nous taxer de mensonge, jette
les yeux sur les mystères qui t'entourent, et étudie leur existence et leurs
conditions. Supposons en effet que tu n'aies pas en toi ce principe que nous
appelons âme, ton oeil pourra-t-il voir, ton oreille entendre ? Ton palais
distinguera-t-il les saveurs, tes mains pourront-elles agir ? C'est donc l'âme
qui fait tout ; le corps coopère seulement à ses actes. Vois encore la puissance
divine dans ses œuvres admirables, où préside sans cesse je ne sais quelle
sagesse secrète et ineffable. Mais il y a plus, je puis te prouver l'Incarnation
du Fils de Dieu par des faits et des autorités purement terrestres ; et si
j'emploie toutes ces comparaisons, ne crois pas que ce soit pour appuyer ma
conviction sur un ou plusieurs points au hasard : c'est bien plutôt pour te
faire comprendre, par ces nombreux témoignages de sagesse, la variété infinie
des œuvres de la divinité et les moyens appropriés à chaque circonstance, dont
Il S'est servi pour combattre le péché. Agissant toujours d'une manière
différente, dans sa Nativité et après sa naissance, dans sa jeunesse et dans sa
virilité, enfin dans sa propre nature, Il nous fait connaître les motifs de sa
conduite pour chaque époque voulue. Et s'il te restait quelque doute sur nos
paroles, écoute le Sauveur Lui-même : "Je suis la vigne et vous les sarments, et
le vigneron, c'est mon Père" (Jn 15,1).
Je puis encore apporter à l'appui de mes
convictions les travaux des hommes. Nous les voyons tantôt greffer les amandiers
sur les germes des arbres les plus rares, tantôt enter une feuille sur une
branche, ce qu'ils pratiquent surtout à l'égard des vignes ; pourquoi donc ne
croirions-nous pas que Dieu a pu employer des moyens pareils dans des faits qui
échappent à nos sens ; pour le Verbe, en greffant sur Lui la chair, pour la
chair, en greffant sur elle la divinité ? Non, la Vierge sainte n'a pas eu
besoin d'un germe étranger à son corps pour enfanter : libre de toute affection
charnelle, Marie a donné sa propre substance, et la sagesse S'est bâti une
maison avec des pierres que la hache ni la scie n'avaient entamées. Dans la
construction, jamais le bruit du fer ne s'est fait entendre : et aussi dans
Marie l'homme n'a rien fait, la Vierge seule a opéré. Les pierres du saint
édifice étaient taillées et polies par leur nature, l'homme n'y avait point
touché ; pareillement l'Incarnation dans la Vierge s'est faite sans le secours
de l'homme ; mais elle a choisi notre nature dans ses entrailles immaculées.
Comme les pierres ont été tirées de la terre ; de même l'Incarnation s'est
opérée dans la nature, et la divinité est restée pure et sans tache, parce que
cette nature était exempte de péché. Sans rien devoir au tranchant du fer, le
temple de la sagesse s'est élevé ; sans causer ni douleur ni souillure, le
Christ a été mis au monde. D'un côté, la terre seule a tout fourni ; de l'autre,
la Vierge a conçu seule. La pierre n'a point été partagée, la terre n'en a point
senti l'extraction ; la Vierge non plus n'a subi aucune altération, et la
passion n'a été pour rien dans sa chaste conception ; la terre n'a point fourni
des pierres venues d'une autre source ; mais sans travail et par instinct, elle
a donné ce qu'elle avait.
Pas la
moindre cause externe n'a concouru à l'Incarnation dans la Vierge ; le principe
existait en elle, et sans cela ne serait-elle pas plutôt une simple nourrice
qu'une mère, la dépositaire d'un trésor et non la source d'un prodige de la
création ? L'Evangile lui donne le titre de mère, et non la simple appellation
de nourrice ; il appelle aussi Joseph père, quoiqu'il n'ait eu aucune part à
cette conception ; aussi ce n'est pas à cause du Christ qu'il reçoit ce nom,
mais bien à cause de Marie, afin de mettre cet enfantement à l'abri de tout
soupçon injurieux, comme n'a pas craint d'en soulever l'impiété des Juifs. Le
nom, d'ailleurs, fit-il jamais la chose ; et n'appelons-nous pas bien souvent
pères, non pas ceux à qui nous devons le jour, mais de vénérables vieillards ?
Aussi bien, la position seule de Joseph lui donnait ce nom, et sur la terre il
devait l'avoir : le lien conjugal contracté par Joseph et Marie les rendait
véritablement époux, et donnait au mari le titre de père. Et les palmiers mâles,
n'est-il pas reconnu qu'étendant l'ombre de leurs rameaux sur les femelles, ils
font fructifier ces dernières sans les approcher nullement, sans leur rien céder
de leur substance ? Quelques figuiers aussi restent stériles, s'ils ne croissent
pas en vue du mâle de l'espèce. Ainsi, par la même raison qu'on appelle ces
arbres pères, quoiqu'ils ne contribuent en rien à la génération, ce nom a été
donné à Joseph, quoiqu'il n'ait été qu'un ami pour la Vierge. C'est un grand
mystère sans doute, et voilà pourquoi il faut appeler à soi toute la création
pour le sonder. Les secrets de la nature échappent aux lumières les plus vives
de l'esprit et de la pensée. Ce qui existe confond la science et l'imagination
la plus ardente. Comment se ferait-il alors que la nature entière ne pût nous
faire saisir ce raisonnement ? Dieu était ce qui était, et tout devait obéir à
sa Voix. Dieu S'était fait homme, et toute créature doit venir admirer son
Créateur et s'incliner devant cette Puissance créatrice, et croire fermement que
ce qui paraît impossible dans l'ordre général de la nature Lui est possible à
Lui. Sachons bien tous que rien ne se fait que par sa Volonté, que la nature est
son esclave. Répétons-le aux incrédules : Dieu n'a pas eu besoin d'un principe
matériel pour créer le monde ; il Lui a suffi de vouloir. Il faut qu'ils en
conviennent : l'univers et tout ce qu'il renferme n'est pas le produit de la
matière. Et par la même raison, c'est sans le concours des deux sexes qu'Il a
crû l'homme, qui contient en lui le siècle visible et invisible.
Mais je sens ma faiblesse pour parler
d'une chose si grande. Venez à mon secours et prêtez-moi vos voix persuasives,
lois de la nature, inventions des arts, conceptions de l'esprit! Que le
firmament m'explique d'où vient la clarté de l'étoile, elle qui n'a pas reçu en
partage la lumière, comme le soleil et la lune! Que l'air sillonné par la
foudre, dont l'éclair tombe au sein de la coquille, fournisse une preuve de
Celui qui devait naître au sein d'une Vierge. Que la terre nous dise le trésor
caché dans ses entrailles ; la mer sa perle précieuse et invisible. Venez à mon
aide, agriculture, maçonnerie, marchands avides et actifs, pêcheurs adroits,
sagesse des monarques, combats des puissants, contradictions des hommes,
découvertes des savants, science des astrologues, tyrans détrônés, folie des
prêtres sacrilèges, enfants confesseurs, pasteurs prophètes ; oh! venez tous
proclamer avec moi la Naissance de Dieu, et peut-être alors les hérétiques
avoueront-ils que ce n'est pas seulement en apparence que le Christ est venu
parmi nous ; mais qu'Il a réellement pris un corps et une âme et qu'Il est né
d'une Vierge.
Voici encore ce que
disent les Juifs : ils ne croient pas que Dieu ait vécu comme homme au milieu
des hommes. Cependant ils croient bien qu'Il a été enfermé dans l'Arche. Et, je
vous le demande, qu'est-ce qui est plus grand, l'arche ou l'homme ? Si tu crois
que Dieu été enfermé dans l'arche, pourquoi ne veux-tu pas admettre qu'Il a vécu
au milieu des hommes ? Nous ne pouvons pas croire, disent-ils, que s'Il eût été
Dieu, Il Se fût laisser crucifier. Mais pourquoi ne refuses-tu pas aussi de
croire que l'arche, qui renfermait Dieu, ait été prise par les ennemis (1 R
4,11) ; car, de même que cette arche recevait en apparence une injure ; de même
le Verbe Dieu, impassible de sa nature, a été soumis par l'incarnation aux
souffrances et à l'ignominie, jusqu'à pouvoir être crucifié. Et de même que sur
la terre étrangère, l'arche renversa et détruisit Dragon (1 R 5,3-4), de même
sur la croix le Christ triompha du démon, réduisit au silence les
blasphémateurs, et fit connaître sa divine Puissance à tous les infidèles. Vous
ne voulez pas croire que le Fils de Dieu est ressuscité trois jours après sa
mort. Et pourquoi croyez-vous alors que Jonas, après avoir passé trois jours
dans le ventre de la baleine, en est sorti sain et sauf (Jn 2) ? Vous ne voulez
pas croire que la sainte Vierge a enfanté Dieu fait homme : comment se fait-il
donc que vous croyez à la construction d'un temple célèbre, pour lequel aucune
pierre n'a été taillée, et qui n'a nécessité l'emploi d'aucun instrument en fer
(3 R 6,7) ? Et certes de tous les édifices et de tous les temples, celui-là fut
sans contredit le plus beau.
La
folie et la démence des Juifs dépasse toute borne ; ils ont sous les yeux les
preuves les plus patentes, et ils refusent de croire. L'ineptie des hérétiques
m'indigne, ils ajoutent plutôt foi aux idolâtres et aux païens qu'aux divines
Ecritures. S'il n'est pas vrai qu'un édifice s'est élevé sans le secours du fer,
édifice consacré au culte du Seigneur, j'accorde que le Christ n'est pas venu en
personne sur la terre. Mais si les fondements de ce temple existent encore sous
nos yeux, ne disputez plus et croyez. Pour moi, je scellerai cette profession de
mon sang. Confondez-moi avec les infidèles, ce que je redoute le plus ici-bas,
et comblez mes vœux en me faisant mourir pour le Christ. Pour ce qui est de mon
corps, je tremble à l'idée de la mort ; mais mon espoir et ma confiance sont en
Dieu. Par ma nature, je chancelle ; par son secours, je m'affermis. Tout est
confusion en moi ; en Lui tout est espérance. Il est la perle, je suis la boue ;
Il est le trésor, je suis la poussière ; Il est la vie, je suis la mort ; Il est
la sagesse, je suis le péché ; Il est la vérité, je suis le mensonge ; car, pour
satisfaire ma vanité, j'ai repoussé de moi la vérité. Il m'a donné une nature
parfaite, et mes affections mauvaises l'ont corrompue ; Il m'a donné une volonté
libre et forte, et moi, je l'ai tuée en la souillant et en la ternissant par le
péché. C'est Lui qui est descendu au fond des mers pour y chercher, à travers
des périls sans nombre, la perle précieuse, et sa divinité L'accompagnait dans
toutes ses tribulations, et Il a emporté avec Lui dans le ciel la nature humaine
qu'Il avait prise sur la terre. C'est Lui qui, sans relâche et toujours plus
profondément, creusait le champ qu'Il avait acquis, et souffrait sur la croix
pour S'approprier le trésor des saints qu'Il faisait sortir du tombeau.
Travaillons donc, nous aussi, et de tous nos efforts, pour participer un jour à
la transaction et à la médiation de notre Sauveur Jésus Christ ; car c'est à Lui
que doit revenir toute gloire, tout honneur, toute adoration ; à Lui et à son
Père, qui ne S'est pas soumis au même sacrifice, aussi bien qu'à l'Esprit
souverainement saint, bon et vivifiant, maintenant et à tout jamais, jusqu'à la
consommation des siècles. Amen
source: http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/textespatristiques/ephrem1.htm